On pourra maintenant se passer des consultations de populations prévues par la loi ... et cela en y substituant l’audition d’interlocuteurs dits représentatifs (sic !)

Si le Conseil d’Etat n’a pas brillé par son engagement en faveur des libertés, d’autres juristes ont bien vu le danger pour notre démocratie. Ainsi, celui qui a présenté l’affaire - très bien d’ailleurs - dans le Juris Classeur, conclut ainsi sa note :

"La concertation avait surtout été conduite avec les élus politiques et syndicaux et les représentants associatifs, mais guère, ou pas du tout, avec les « populations » elles-mêmes. Le Conseil d’Etat a cependant admis la validité de cette concertation indirecte, sensible sans doute au caractère très spécifique de cette procédure unique en son genre" (1).

On peut toutefois regretter qu’à un moment où se multiplient les efforts de « concertation » sur les grands projets d’infrastructures, la Haute assemblée n’ait pas saisi l’occasion de donner à ce mot son sens le plus substantiel." (point final ; même si elle est exprimée dans les termes diplomatiques qui conviennent à une revue de ce genre, il s’agit là d’une condamnation sans appel du jugement du Conseil d’Etat)

Dans le Conseil d’Etat lui-même, l’enjeu avait été parfaitement cerné par celui de ses membres qui avait été chargé de présenter l’affaire devant la Section du Contentieux, appelée, elle, à en juger (on l’appelle très improprement "Commissaire du gouvernement", puisqu’il s’exprime en simple juriste et qu’il a justement dans cette occasion soutenu notre cause contre nos adversaires, à savoir le Ministère de l’Industrie - représenté par Longuet puis par Pierret - et l’ANDRA venue à la rescousse) .

Voici ce qu’il disait :

"En écrivant « concertation avec la population », on s’oblige à une concertation avec les populations... En son absence, il s’exprime le sentiment d’une manoeuvre et d’une tromperie : l’Etat, législateur et exécutif confondus, aurait menti. Il n’aurait pas fait ce qu’il avait dit, et pas dit ce qu’il entendait faire. Sur une question qui touchait justement au débat public et à l’exercice de citoyenneté , il n’est pas possible de répondre que ce comportement avait de solides motifs. De telles convenances ruinent lentement le crédit de la parole publique : elles ne sont raisonnables qu’en apparence, car elles alimentent tous ces poisons de la vie démocratique que sont le scepticisme à l’égard de la loi, le scepticisme sur la volonté qu’aurait l’administration de l’appliquer, le scepticisme sur la vigilance du juge pour en être le gardien....Nous concluons à l’annulation de la décision attaquée" (Point final : il s’agissait de la décision de présélection des quatre départements alors en cause, dont la Meuse).

Après quoi, la Section du Contentieux délibérait, admettait avec nous que "M. Bataille s’est rendu dans chaque département dont le territoire était susceptible de faire l’objert de recherche préliminaire, pour y rencontrer les élus, les responsables socioprofessionnels et syndicaux et des présidents d’associations de défense de l’environnement" (ce qui montre bien les catégories limitatives d’interlocuteurs que s’est données un médiateur pourtant chargé par la loi d’une "concertation avec les élus et les populations concernées") et jugeait ... qu’"ainsi les dispositions de l’article 6 de la loi du 30 décembre 1991 et celles du décret du 17 décembre 1992 N’ont PAS été méconnues", admettant du même coup "la validité de cette concertation indirecte" (comme dit le Juris Classeur) et validant ainsi la présélection des quatre départements, malgré les conditions illégales où elle a été opérée. C’est la "Raison d’Etat" érigée en loi suprême, comme en d’autres temps (ou en d’autres lieux).

Toutes les possibilités du droit national ayant été épuisées, le CDR 55 décidait de porter l’affaire en Cour Européenne des Droits de l’Homme, en invoquant la violation de possibilités d’expression pourtant reconnues par la loi française à chacun des citoyens qui se trouvait ici concerné (et pas seulement à ses représentants ou prétendus tels).

Il fallait un citoyen ayant déjà porté l’affaire en Conseil d’Etat : ce fut moi (ceci pour expliquer le caractère apparemment personnel de la plainte, tel qu’il ressort du jugement de la CEDH, même si bien sûr il y avait derrière moi le CDR55, à qui cette procédure a coûté une somme importante pour lui (quelques dizaines de milliers de F) !