Dans un avis (1) publié le 18 janvier, l’Autorité environnementale (Ae) pointe de graves insuffisances dans le dossier du centre de stockage souterrain des déchets radioactifs (Cigéo) de Bure (Meuse). L’avis porte plus particulièrement sur l’évaluation environnementale « très détaillée » réalisée par l’Andra dans le cadre du dossier de déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. La DUP doit permettre d’assurer la maîtrise foncière du projet sur une surface de 665 hectares, permettant le cas échéant des expropriations, de réaliser la mise en conformité des documents d’urbanisme et de « légitimer politiquement » la réalisation du projet.

Les opposants à Cigéo se félicitent de cet avis, estimant qu’il corrobore leurs critiques formulées depuis plus de vingt ans.
L’avis de l’Ae vient ébranler le « rien à signaler » de l’Andra au moment du dépôt de son dossier de demande de DUP en août dernier, estime le Réseau Sortir du nucléaire (RSN). « L’Ae ne se contente pas de mettre en doute la maturité du projet, soulignant que la possibilité de récupérer les déchets n’est toujours pas démontrée ; elle met également en évidence un nombre très important d’informations manquantes sur des sujets cruciaux », réagit l’association.

De son côté, l’Andra indique avoir besoin d’ « un temps d’étude et d’analyse » avant de pouvoir répondre aux recommandations émises. L’établissement public annonce, « conformément au code de l’environnement », un mémoire en réponse qui sera joint au dossier d’enquête publique. Une enquête qui devrait se dérouler au cours de l’année 2021.

Prise en compte insuffisante des enjeux environnementaux

« L’examen des solutions de substitution s’est appuyé sur une connaissance encore imparfaite de l’état initial, ce qui suggère que la prise en compte des enjeux environnementaux pourrait être meilleure », estime l’Autorité environnementale. Cette insuffisance porte sur différentes facettes du projet : traitement des déchets, type de stockage, choix de la couche géologique, implantation des installations et devenir du territoire d’implantation.

Ainsi, le choix de la couche géologique pour le projet s’est trouvé « in fine extrêmement réduit », conduisant à n’implanter qu’un seul laboratoire souterrain national à Bure. L’importance des enjeux de ce projet, qui engage l’avenir sur plusieurs millénaires, « aurait mérité que plusieurs sites aient fait l’objet d’expérimentations afin de disposer d’un éventail d’informations sur les risques sanitaires et environnementaux en appui de la décision », pointe l’Ae.

De plus, le dossier n’envisage pas suffisamment les risques à long terme liés au développement du territoire. « Compte tenu de la nature du projet et des incertitudes qui portent sur les risques à long terme, il serait rationnel, en application du principe de précaution, de chercher à limiter durablement la population exposée à l’aléa, même si celui-ci est très faible », juge l’Autorité. Celle-ci suggère de neutraliser le territoire potentiellement exposé aux risques sanitaires via un espace naturel préservé. « D’autres incertitudes quant aux incidences sur les sites Natura 2000 et aux impacts sur les milieux aquatiques doivent également être levées », indiquent les rapporteurs.

Absence de rapport de sécurité

La deuxième grosse critique porte sur l’absence de… rapport de sécurité. « Alors que des risques d’accidents (incendie souterrain, explosion...) sont mis en évidence depuis plusieurs années et reconnus même par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), on peut s’étonner de cet "oubli" ! », réagit le Réseau Sortir du nucléaire. « La sûreté et la sécurité à court, moyen et long termes de ce projet sont des facteurs déterminants de son utilité publique », estime effectivement l’Ae, qui redoute un accident ou une erreur de conception.

“ Alors que des risques d’accidents sont mis en évidence depuis plusieurs années et reconnus même par l’Autorité de sûreté nucléaire, on peut s’étonner de cet "oubli" ! ” Réseau Sortir du nucléaire
Pour les rapporteurs, la question de la prévention des risques majeurs mérite une synthèse des conclusions d’études précédentes, notamment celles de l’ASN sur le dossier d’options de sûreté remis en 2016, mais aussi la démarche d’analyse des risques qui a conduit à ces conclusions. L’Ae demande au maître d’ouvrage de compléter le dossier sur l’impact d’accidents potentiels, y compris à longue distance dans le cas d’une pollution des eaux, Cigéo étant situé en tête de bassin versant. A cet égard, les rapporteurs considèrent que la dimension exceptionnelle du projet et sa durée impliquent de réévaluer la question d’une consultation internationale. Il semble que l’Andra ait un peu vite considéré que le projet ne pouvait avoir d’incidences notables sur l’environnement d’un autre État.

Établissement unique rassemblant différentes problématiques

Comme le souligne l’avis, le centre de stockage constituera un établissement unique rassemblant sur un même lieu des problématiques liées à différents types d’installations : installations nucléaires de base (INB), installations industrielles à risques, travaux miniers et stockage passif de déchets. D’où la nécessité de croiser des compétences et des expertises de nature et d’origines très variées.

L’Ae pointe différentes problématiques liées au stockage souterrain des déchets nucléaires : accidentologie mais aussi évacuation de la puissance thermique des colis, « facteur majeur de la sûreté de stockage », et risques d’agression anthropique du site. Sur ce dernier point, les rapporteurs rappellent qu’une expertise indépendante a souligné les insuffisances des études de l’Andra sur le potentiel géothermique du site. En demandant que cette question soit approfondie lors des demandes d’autorisations ultérieures, nécessaires à la réalisation du projet, l’Ae relance cette question. Au plan judiciaire, elle avait été tranchée en mai 2018 par la Cour de cassation, qui avait jugé que l’Andra n’avait pas dissimulé le potentiel géothermique du site susceptible de remettre en cause le projet. Les associations anti-nucléaires, à l’origine de cette action, se sont toutefois tournées vers la Cour européenne des droits de l’homme.

« En pointant toutes ces lacunes, cet avis démontre à quel point les critiques (…) sont justifiées et doivent être prises en compte. Dans ces conditions, il serait inacceptable que Cigéo soit déclaré d’utilité publique », estime le Réseau Sortir du nucléaire. Et l’association d’appeler le gouvernement à « abandonner ce projet, qui sert d’alibi à la poursuite du programme nucléaire français, et à commencer dès maintenant à tarir la production de ces déchets radioactifs ingérables ».

1. Télécharger l’avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le centre de stockage Cigéo
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-36900-avis-Ae-Cigeo-DUP.pdf