Le 7 novembre 2004, Sébastien, 22 ans, est mort à Avricourt, en Lorraine, percuté par la locomotive d’un convoi de déchets nucléaires d’Areva partant vers l’Allemagne.

Un convoi ferroviaire de 12 emballages de résidus vitrifiés a quitté le samedi 6 novembre 2004 le terminal ferroviaire de COGEMA Logistics à Valognes (Manche) à destination du site de stockage de Gorleben (Allemagne).
Ce transport s’effectuait dans le cadre d’un accord ntergouvernemental entre la France et l’Allemagne, conclu le 31 janvier 2001. Cet accord a ouvert la voie à un autre accord, commercial celui-là entre entre les compagnies d’électricité allemandes et la COGEMA. Il est prévu que les combustibles usés des centrales allemandes soient, pour partie, envoyés en France pour y être traités.
En retour 12 emballages de résidus vitrifiés issus du traitement de combustibles nucléaires usés repartent chaque année en Allemagne.

Les anti-nucléaires français et allemands avaient largement dénoncé ces accords et organisé des actions de protestation non violente qui consistaient en des tentatives de blocage des trains de déchets nucléaires.

Action de blocage de train en trajet vers l’Allemagne

Le dimanche 7 novembre, en fin de matinée, deux manifestants antinucléaires s’étaient déjà enchaînés sur une voie SNCF à hauteur de Laneuveville-devant-Nancy (Meurthe-et-Moselle) pour tenter de bloquer le train transportant des déchets nucléaires vers l’Allemagne. La police et les pompiers avaient dû intervenir pour sectionner les entraves des deux militants antinucléaires. Le convoi nucléaire, bloqué pendant environ deux heures, avait repris sa route peu avant 13h30.
Mais un peu plus loin, l’après-midi, vers 14h30, à Avricourt (Meurthe-et-Moselle), le train a percuté Sébastien Briat, originaire de la Meuse, manifestant anti-nucléaire, qui s’était enchaîné sur une voie ferrée, avec des militants du collectif antinucléaire Cacendr 54.

Le groupe a été surpris et percuté par le train transportant des déchets nucléaires arrivé sur eux à 80 km/heure.
Sébastien Briat, qui était resté assis, a eu une jambe sectionnée et est décédé sur place.


Pour mieux comprendre le sens de son engagement, nous relayons le magnifique texte qui suit, écrit par ses amis juste après l’accident qui nous a tous terriblement marqués. Seul un hebdomadaire national l’a publié. Le drame a été quelque part passé sous silence, étouffé dans les médias.”ˆDe très nombreux témoignages de sympathie issus des réseaux militants ont circulé et ont été transmis à sa famille.


“Bichon” est mort pour ses convictions

"Quelques semaines auparavant il s’était décidé avec plusieurs d’entre nous à agir pour rendre publique la vulnérabilité d’un tel convoi. Le fait qu’il soit mort ne doit pas faire oublier que cette action était non violente, réfléchie et volontaire.
Contrairement à ce que ce drame peut laisser transparaître, en aucun cas notre acte était irresponsable et désespéré. Notre engagement est le fruit de convictions profondes quant au danger certain et réel que représente le nucléaire depuis trop longtemps. Cette action était parfaitement planifiée, collectivement, incluant des repérages précis des lieux, et en respectant des procédures d’arrêt éprouvées.
Nous avions longuement envisagé toutes les possibilités y compris un non arrêt du convoi. Placés en sortie de courbe, nous pouvions être amenés à quitter les rails très rapidement, du fait d’une visibilité réduite. Nous étions quatre couchés sur les voies ayant chacun un bras passé de part et d’autre d’un tube d’acier glissé sous le rail extérieur de la voie permettant ainsi un départ d’urgence plus rapide.
En aucun cas nous n’étions cadenassés et nous avions la possibilité de nous dégager rapidement de ces tubes.

Malheureusement l’équipe chargée de stopper le train 1500m en amont n’a pas pu agir. L’hélicoptère de surveillance précédent en permanence le convoi était absent, « parti se ravitailler en kérosène » ; or cette équipe comptait essentiellement sur sa présence qui signalait l’arrivée du train. Enfin, conformément à ce qui était convenu, les stoppeurs ont renoncé à arrêter le convoi car il était accompagné de véhicules de gendarmerie le précédant à vive allure sur le chemin les séparant de la voie.
Le convoi est donc arrivé à « 98 km/h », selon le procureur, n’ayant pu être arrêté par les militants ni averti par l’hélicoptère. Ces multiples causes réunies nous mettaient en danger. De ce fait, les personnes couchées sur les rails n’ont bénéficié que de très peu de temps pour s’apercevoir que le train n’avait pas été stoppé et par conséquent n’avait pas réduit son allure. Nous nous étions entraînés à une évacuation d’urgence de l’ordre de quelques secondes. Sébastien à été percuté alors qu’il quittait les rails, et en aucun cas, son bras n’est resté bloqué à l’intérieur du tube. La vitesse de l’événement nous a dépassé et personne parmi nous n’a eu le temps de lui venir en aide.

Avant que cela n’arrive, nous sommes restés dix heures de suite cachés en lisière de bois à trente mètres de la voie, gelés et ankylosés par le froid. Durant cette attente, nous n’avons pas été détectés par le dispositif de sécurité, ni les guetteurs postés à une quinzaine de kilomètres du lieu du blocage et chargés de nous prévenir de l’arrivée du train, ni les stoppeurs chargés de l’arrêter, ni les bloqueurs qui avaient préalablement installé les deux tubes sous le rail aux environs de cinq heures du matin. Il est clair que la part de responsabilité de chaque protagoniste doit être établie. Y compris la nôtre.

Pour l’heure nous sommes face à l’un des pires moments de notre existence. Malgré ce que beaucoup de personnes peuvent penser nous avions des raisons certaines d’être là. En premier lieu la sauvegarde de la planète, dont nous assistons au déclin d’années en années, mais également le rejet de cet État monolithique refusant toute remise en question. Nous n’avons pas décidé d’arrêter ce train par immaturité ou par goût de l’aventure, mais parce que dans ce pays, il faut en arriver là pour qu’une question de fond, enfin, entre dans le magasin de porcelaine.

Sébastien est mort par accident, il ne l’a pas choisi, personne ne l’a souhaité. Il n’est pas mort au volant en rentrant ivre de discothèque, mais en agissant pour faire entendre ses convictions. Et c’est sans conteste pour cela que son décès ne sera jamais, pour nous, un fait divers.

Face à une situation où nous étions si perdus, nous n’imaginions pas recevoir tant de soutien. Nous remercions particulièrement amis et parents, de nombreuses associations, mais également les milliers d’anonymes allemands et français ayant organisé des manifestations et des commémorations en sa mémoire. L’ampleur de la solidarité nous dépasse autant qu’elle nous touche. Le plus important, nous semble de pleurer un frère et de soutenir sa famille et non d’instrumentaliser son image. Bichon était certes à la recherche d’un monde moins fou, mais avant tout un jeune homme rempli de joie de vivre, d’énergie et amoureux des gens.
Ce texte n’est ni une confession, ni une agression, nous voulons seulement par celui-ci rétablir la vérité des faits."

2004 - Ses compagnes et compagnons de route


LES SUITES / PROCES

ARTICLE LIBERATION
par Laure Noualhat - 23 /12 / 2004

L’enquête sur la mort du militant antinucléaire ravive les polémiques

Le mouvement antinucléaire se reconstitue en silence.
La mort de Sébastien Briat, heurté le 7 novembre par un train de déchets nucléaires à Avricourt (Meurthe-et-Moselle), a fortement secoué les rangs du mouvement, provoquant incrédulité et colère. Depuis l’enterrement du jeune homme, le silence était de mise. Mardi, le syndicat SUD rail a réclamé la « réouverture d’une enquête établissant l’arbre des causes » ayant conduit à la mort du militant. C’est que les conclusions de l’enquête préliminaire, rendues le 16 décembre, ont ravivé quelques flammes.

Poursuites
« Si ce syndicat estime avoir des éléments nouveaux à apporter au dossier, nous sommes tout à fait prêts à les recueillir », nous a déclaré hier la vice-procureure de Nancy, Clarisse Taron. Pour le parquet de Nancy, la mort de Sébastien Briat serait due à un « concours d’imprudences et de défaillances de la part des militants ». Le parquet ne compte donc pas lancer de poursuites pénales, ni à l’encontre des bloqueurs du convoi, ni à l’encontre de la SNCF.
Sans vouloir aller jusque-là, SUD rail désapprouve ces conclusions. Le syndicat estime que les « défaillances » du groupe de militants n’expliquent pas la vitesse élevée du convoi. « Ce qui nous étonne, c’est que l’enquête passe sous silence la réglementation SNCF qui impose la marche prudente lorsqu’il y a présomption de personnes sur les voies », explique Alain Cambi de la fédération SUD rail à Paris. La présence d’un important dispositif policier (gendarmes le long des voies et hélicoptère précédant le convoi) suffit à prouver que les autorités s’attendaient à une opération militante, donc à la présence de personnes sur les voies. « L’ordre aurait dû être donné au conducteur de rouler en marche prudente, c’est-à-dire à 30 ou 40 km/h maximum, poursuit Alain Cambi ; a fortiori quand la surveillance aérienne a été stoppée pour cause de ravitaillement. » Pour SUD rail, le parquet ne peut pas se contenter d’incriminer les militants sans s’interroger sur les fonctionnements de ces convois potentiellement dangereux pour la population, les agents SNCF ou ceux qui s’y opposent.
En temps normal, un convoi de déchets nucléaires est survolé par un hélicoptère dont le pilote prévient le conducteur de train de la présence de militants sur les rails. Au moment du l’accident d’Avricourt, l’hélicoptère était parti se ravitailler, et son absence n’a pas été compensée par un autre moyen de visualisation.

Freinage.
Le train sortait d’une courbe à 98 km/h. « Il avait le droit de rouler à cette vitesse puisque la limite est fixée à 100 km/h, explique Clarisse Taron. Dès que le conducteur a vu les bloqueurs, il a freiné. Au moment du choc, le train filait à 80 km/h. » Ces trains sont également équipés de régulateurs de vitesse qui déclenchent un freinage automatique dès que les 105 km/h sont dépassés.
Dans ses conclusions, l’enquête préliminaire stipule aussi que sept des huit bloqueurs de train, dont la victime, ont été contrôlés positifs au cannabis. Mais pour la vice-procureure il n’y a « aucun lien » entre l’accident et la présence de THC, substance active du cannabis, dans le sang. Le contrôle positif ne signifie pas que les bloqueurs de train ont fumé des pétards juste avant de sauter sur les rails, mais qu’ils en ont probablement consommé les jours ou les semaines précédant l’opération.

https://www.liberation.fr/terre/2004/12/23/l-enquete-sur-la-mort-du-militant-antinucleaire-ravive-les-polemiques_503866/